LA COLLECTION GHABOR / M /

Nos désirs témoignent-ils

de l'obscurité dont nous sommes faits

et qui dévore le monde

Ainsi les avares trouvent le sexe morne.

Il faut être ogre dans le don.

 

 Isabelle Sorente  / Le cœur de l’ogre



AVERTISSEMENT / MAUVAIS GENRE /  

Rimbaud ayant décidé de ne pas être sérieux à l'âge de dix-sept ans, se retrouve abandonné par ses amis sous prétexte de mauvais goût. Il se radicalise, son comportement devient indiscipliné et son apparence sauvage : il invente sans le vouloir  le  "mauvais genre". 

 


 M / désigne certaines pages qui contiennent des œuvres susceptibles:

- soit de provoquer la controverse, d'être potentiellement offensantes pour la sensibilité de certains visiteurs,

- soit d'en réjouir d'autres.

 




Entre 2010 et 2019, plus de 10 000 fichiers de photographies numériques ont été sauvegardées sur un disque dur découvert par hasard. Plus d'une dizaine de femmes anonymes y mettent en scène leurs fantasmes hors de toute censure face à un photographe amateur. Cette collection unique est complétée pas une centaine d'objets divers en lien avec cette étonnante épopée intime, déraisonnable, insensée.

 

Ceci pose la question de la folie ordinaire:

est-il fou d'être sage ou est-il sage d'être fou et à quel point?

 

Reste le trouble d'une beauté incontestable,

omniprésente qui pointe par delà ce qui se joue entre les protagonistes.



PHOTOGRAPHIES ANONYMES /

La vie SEXUELLE tel un art qui s'ignore /

ou une folie qui affleure, obsessionnelle /


Charles Baudelaire

Vous est-il arrivé, comme à moi, de tomber dans de grandes mélancolies,

après avoir passé de longues heures à feuilleter des estampes libertines ?

Vous êtes-vous demandé la raison du charme qu’on trouve parfois à fouiller ces annales de la luxure,

enfouies dans les bibliothèques ou perdues dans les cartons des marchands,

et parfois aussi de la mauvaise humeur qu’elles vous donnent ?

 

Plaisir et douleur mêlés, amertume dont la lèvre a toujours soif !

Le plaisir est de voir représenté sous toutes ses formes le

sentiment le plus important de la nature,

et la colère, de le trouver souvent si mal imité ou si sottement calomnié.

...


un musée

de l’amour,

où tout

aurait

sa place

Bien des fois je me suis pris à désirer,

devant ces innombrables échantillons du sentiment de chacun,

que le poète, le curieux, le philosophe,

pussent se donner la jouissance d’un musée de l’amour, où tout aurait sa place,

depuis la tendresse inappliquée de sainte Thérèse

jusqu’aux débauches sérieuses des siècles ennuyés.

Sans doute la distance est immense qui sépare le Départ pour l’île de Cythère

des misérables coloriages suspendus dans les chambres des filles,

au-dessus d’un pot fêlé et d’une console branlante ;

mais dans un sujet aussi important rien n’est à négliger.

...

Ainsi pour rassurer complètement la chasteté effarouchée du lecteur,

je dirai que je rangerais dans les sujets amoureux,

non seulement tous les tableaux qui traitent spécialement de l’amour,

mais encore tout tableau qui respire l’amour, fût-ce un portrait.

 

Dans cette immense exposition,

je me figure la beauté et l’amour de tous les climats exprimés par les premiers artistes,

depuis les folles, évaporées et merveilleuses créatures que nous a laissées Watteau fils

dans ses gravures de mode, jusqu’à ces Vénus de Rembrandt

qui se font faire les ongles, comme de simples mortelles,

et peigner avec un gros peigne de buis.

Les sujets de cette nature sont chose si importante, qu’il n’est point d’artiste,

petit ou grand, qui ne s’y soit appliqué, secrètement ou publiquement ...

Leur grand défaut, en général, est de manquer de naïveté et de sincérité.

 

Je me rappelle pourtant une lithographie qui exprime,

sans trop de délicatesse malheureusement,

une des grandes vérités de l’amour libertin. 

Un jeune homme déguisé en femme et sa maîtresse habillée en homme

sont assis à côté l’un de l’autre, sur un sofa, le sofa que vous savez,

le sofa de l’hôtel garni et du cabinet particulier.

La jeune femme veut relever les jupes de son amant.

 

Cette page luxurieuse serait,

dans le musée idéal dont je parlais, compensée par bien d’autres

où l’amour n’apparaîtrait que sous sa forme la plus délicate.




L'esprit de cette collection /

L'enfer d'une bibliothèque

comme étincelle de connaissance /


Stendhal


Je trouvais que ma vie pouvait se résumer
par les noms que voici,
et dont j'écrivais les initiales sur la poussière
comme Zadig, avec ma canne :
Virginie (Kubly),
Angela (Pietragua),
Adèle (Rebuffel),
Mélanie (Guilbert),
Mina (de Griesheim),
Alexandrine (Petit),
Angéline, que je n'ai jamais aimée,
Métilde (Dembowski),
Clémentine,
Giulia,
Et enfin, pendant un mois au plus,
Madame Azur
dont j'ai oublié le nom de baptême,
et, imprudemment, hier,
Amalia (B.).
La plupart de ces êtres charmants
ne m'ont point honoré de leurs bontés
mais elles ont, à la lettre
occupé toute ma vie.


Bal des folles /

Paris / la Salpêtrière /


Contexte hystérique


Le bal des folles était au XIXe siècle un bal célèbre du Carnaval de Paris.

Il avait lieu chaque année à Paris à l'Hospice de la Salpêtrière au moment de la Mi-Carême.

La presse parisienne en parlait. De nombreuses personnalités, notamment du monde médical, y assistaient.



Le bal de 1887 /

Le Petit Parisien écrit le 19 mars /

Chaque année, à l'Hospice de la Salpêtrière, un bal est organisé le jour de la Mi-Carême pour la plus grande joie des pauvres folles, pensionnaires de cet établissement.
C'est dans la grande salle de l'Hospice que ce bal a lieu.


Des deux côtés de la salle, le long des fenêtres sont des banquettes où s'entassent les invités, tous en costume de ville. A l'extrémité, il y a un buffet, où, très avenantes sous leur petit bonnet de tulle blanc, les infirmières affairées distribuent aux danseuses les verres de sirop et les petits gâteaux.

Au milieu, on voit un fourmillement multicolore de quadrilles et de valses :

tout un peuple dansant de Colombines, de magiciennes, d'Espagnoles, de princesses et de laitières.
Et tout ce monde joyeux, le rose aux joues et l'éclair de plaisir dans les yeux,

c'est la folie, pourtant !


Qui le croirait ?
À vrai dire, il n'y a pas là que des folles.
Le service des maladies nerveuses, les hystériques, les épileptiques et les hypnotiques,

fournissent aussi leur contingent à la fête.


On penserait, n'est-ce pas ?

qu'un bal organisé de la sorte doit être le déchaînement de la démence.

Eh bien ! il n'en est pas ainsi.

Rien de plus paisible, de plus calme, de plus doux,

rien qui soit d'un aspect plus débonnaire et plus rassérénant que ce bal de folles :

on se croirait dans une de ces fêtes familiales et bourgeoises,

comme il s'en organise souvent par souscription entre voisins et amis,

à l'occasion des Jours-Gras, dans certains milieux parisiens.


Toutes ces pauvres aliénées paraissent pleines de reconnaissance

et d'affection pour ceux qui ont eu l'idée de leur préparer ce bal annuel.

Ce bal, elles en rêvent toute l'année !

Aussi, leur joie éclate lorsqu'il a lieu.


Quand on se rappelle que dans le même Hospice de la Salpêtrière

où l'on dansait si joyeusement hier, les pauvres folles étaient encore,

il n'y a pas quatre-vingt ans, enfermées à demi-nues,

le corps chargé de chaînes et de carcans,

dans des loges souterraines où « elles avaient souvent les pieds rongés par les rats »

ou gelées « par le froid des hivers », on songe non sans fierté au chemin parcouru,

et l'on se dit que ni la science, ni la philanthropie,

ni le progrès ne sont de vains mots.




Chaque ville dissimule une cour sexuelle terrifiante dont les humains ne peuvent jamais venir à bout.

 

Au coeur de chaque ville du monde on trouve un quartier en feu.
Un West Point sexuel, tyrannique, incompréhensible,
effrayant, nocturne, surexcité,
régit les comportements humains en deçà de la vie policée,
envieuse, diurne, laborieuse,
mécontente, fatiguée, amère.
La doctrine de Bouddha est la même que celle de Melanie Klein.
Il y a deux cités.
Il y a une cité divine et violente,
derrière la cité humaine,
et qui hante toutes les vies,
et qui a les traits de l'animalité,
qui est toujours nue: le monde utérin.
Sombre, jaillissant, originaire, sexuel.
Pascal Quignard La nuit sexuelle 2007